Les Angelets de la Terra : héros mythiques de Catalogne Nord (1667 - 1675)
La Révolte des Angelets de la Terra : Une révolte nationale en Catalogne Nord
Introduction : Le cadre et l'importance de la révolte
Au XVIIe siècle, ce qui aurait pu être une simple insurrection antifiscale, comme tant d'autres, se transforma rapidement en une révolte pour préserver les droits et les libertés de la terre catalane. Le nom que se donnaient les insurgés était assez explicite : "els Angelets de la Terra". À cette époque, les Pyrénées catalanes avaient une importance stratégique durant tout le règne de Louis XIV. Il ne maintint pas le contrôle de cette nouvelle frontière en vertu du traité des Pyrénées, mais parce qu'il utilisa une force militaire et diplomatique supérieure à celle des Espagnols et réprima violemment les diverses tentatives de soulèvement catalan.
La révolte armée des Angelets de la Terra en défense des Constitutions catalanes et pour la réunification de la principauté de Catalogne, postérieure à l'infâme Traité des Pyrénées (1659), réussit à tenir en échec le tout-puissant Roi de France pendant plus de dix ans. Commandés dans le Vallespir par Josep de la Trinxeria, ils remportèrent de grandes victoires et écrivirent l'une des pages les plus héroïques et pleines de dignité de notre histoire.
Cependant, une fois de plus, nous sommes confrontés à des événements qui ne sont pas assez connus chez nous et, bien sûr, il y a aussi un manque alarmant de représentation iconique qui les maintienne présents comme un témoignage fier de l'ancestral esprit combatif de la nation catalane. De notre côté, il restera la tentative de restituer la mémoire de ces héros et de dénoncer ce manque de rigueur.
Partie 1 : Le Contexte Historique et les Causes de la Révolte
1.1. L'Annexion Française (1659)
Le 7 novembre 1659, suite à la guerre des Faucheurs (Segadors), les monarchies hispanique et française signèrent le Traité des Pyrénées, qui signifia le partage de la Catalogne entre les deux souverains. Ce traité a imposé une frontière qui annexe à la France le Roussillon, le Conflent, le Capcir et une partie de la Cerdagne. La résistance à l'occupation française de la Catalogne Nord commença dès mars 1661.
1.2. La Imposition de la Gabelle (1661) et la Trahison des Engagements
En juillet 1660, le Conseil Souverain du Roussillon est instauré, remplaçant la Diputació (Députation), confirmant en Catalogne Nord l'application officielle des Constitutions de la principauté de Catalogne que Louis XIV jura à Perpignan.
Cependant, les promesses sont rapidement brisées :
Juin 1660 :Suppression de toutes les institutions et organismes officiels catalans.
1661 :Imposition du monopole royal du sel, contraire aux Constitutions catalanes, impliquant la fermeture des salines locales et l'interdiction de transporter du sel d'autres salines de la Principauté.
Novembre 1661 :Rétablissement de la gabelle (taxe sur le sel), impôt abolie par les Corts Catalanes depuis 1283.
Conséquences et impopularité :
Cet argent devait servir à payer les troupes d'occupation et les fonctionnaires français, vus comme des "collaborateurs".
Détournement des fonds au détriment de Perpignan, considéré comme une abjuration du serment royal.
Protestations des consuls de Perpignan rejetées par le Conseil Souverain.
Cet impôt frappe particulièrement le Vallespir, pays de pâturages dépendant du sel catalan moins cher.
Début d'une contrebande intense et répression immédiate (exemple de Saint-Laurent-de-Cerdans en 1663 : 8 condamnations à mort, 51 aux galères).
Partie 2 : Le Déroulement des Révoltes
2.1. La Première Révolte (1667-1669) et le Compromis de Céret
Origine :En 1667, les gabelous fouillent les maisons de Prats-de-Mollo et imposent des amendes. Josep de la Trinxeria, membre d'une famille notable, indigné, organise la résistance armée.
Les Angelets :Une troupe de volontaires bien armés, aidés par les paysans, se baptise "Angelets de la Terra" (apparaissant et disparaissant comme des anges, ou en référence à Saint-Michel).
Actions :La guérilla s'étend dans le Vallespir. Ils attaquent une auberge de gabelous à Amélie-les-Bains et assiègent un sous-viguier dans une église. Le siège de Céret en 1668 est un point culminant.
Répression et échec français :Le président Sagarra mène une expédition punitive de 300 soldats, mise en déroute au pas del Llop.
Succès et négociation :La guérilla, connaissant bien le terrain, harcèle efficacement les troupes françaises. Louis XIV, engagé dans la Guerre de Dévolution, pactise le 24 avril 1669 par le "Compromis de Céret" : amnistie générale, suppression des gabelous et vente de sel à prix réduit.
2.2. La Seconde Révolte (1670-1675) et l'Écrasement
Relaîment :En 1669, Joan Miquel Mestre ("l'Hereu Just") exige le même traitement pour le Conflent. Son arrestation en janvier 1670 déclenche une nouvelle révolte.
Escalade :La révolte devient plus cruelle. Les Angelets s'emparent d'Arles (tuant le maire) et assiègent Céret une seconde fois avec 1500 hommes.
La défaite décisive :La France envoie une armée de 4 000 soldats qui prend le Vallespir à revers par les montagnes. Le 5 mai 1670, les Angelets sont défaits au col de la Regina, leur technique de guérilla étant inefficace en bataille rangée.
Répression exemplaire :Maisons et murailles de Prats-de-Mollo et Serralongue sont démolies. De lourdes amendes sont imposées à seize villages.
2.3. La Lutte dans le Contexte de la Guerre de Hollande (1672-1678) et les Complots
Collaboration avec l'Espagne :La lutte prend un caractère antifrançais assumé. Les Angelets collaborent avec la monarchie hispanique.
Le Complot de Villefranche (1674) :Visant à une réunification avec la Principauté de Catalogne lors du Samedi Saint 1674. La conspiration est découverte.
Répression Terrible :
Le chef Manuel Descatllar est torturé, exécuté et sa tête exposée.
Francesc Puig i Terrats est égorgé en public et son corps démembré.
Les têtes des chefs Angelets sont exposées dans des cages de fer pendant 30 ans.
Spoliation des biens des accusés. Le village de Py est rasé et du sel est semé sur ses ruines.
Purge sociale : exils (plus de 200 personnes) et exécutions (une centaine).
Derniers soubresauts :Les troupes espagnoles prennent le Fort de Bellegarde et contrôlent une partie de la Catalogne Nord (1674) avant d'en être chassées en 1675. La révolte est considérée comme terminée cette année-là. Les haines et le coût de la répression sont tels que Louis XIV tente d'échanger les Comtés nord-catalans contre la Flandre, sans succès.
Partie 3 : Analyse, Mémoire et Débats Historiographiques
3.1. Qui étaient les Angelets ? Organisation et Soutien Populaire
Origine sociale :Paysans, muletiers (premiers affectés), travailleurs des forges ("clavataires", un groupe cohérent qui prit le leadership), quelques nobles, femmes (soutien passif), enfants et adolescents (espionnage).
Organisation et tactique :Corps armé organisé techniquement, suivant les systèmes d'autodéfense du pays (sometents, miquelets). Excellente connaissance du terrain, armement léger, grande mobilité. Cri de ralliement : « Via fora lladres i gavatxs! » (« Dehors les voleurs et les gabelous ! ») et « Visca la Terra » (« Vive la Terre »).
Soutien populaire :La bienveillance et la complicité des populations représentaient un soutien passif crucial. Sans ce soutien actif et passif, leur longévité n'aurait pas été possible.
3.2. Le Débat : Révolte Antifiscale ou Nationale ?
Une interprétation évolutive :Le début du mouvement est une réaction à une décision politico-fiscale. Mais avec le temps et l'implication d'acteurs divers, l'interprétation de la révolte évolue.
Une "nation fragmentée" :La solidarité ne fut pas générale. Il s'agissait d'une consolidation du sentiment identitaire par zones affectées, une "contre-identité" face à l'agression française prolongée.
Un choix politique :La révolte devient une décision politique d'identité nationale, une préférence pour la monarchie hispanique face à l'impossibilité de l'auto-affirmation.
La perception française :Pour la France, cette révolte était plus qu'antifiscale ; elle représentait un danger sécessionniste, un "pont pour l'invasion de l'ennemi". Cela explique l'envoi de grands contingents militaires et la méfiance durable des autorités.
3.3. La Mémoire, l'Oubli et la Représentation
Une histoire oubliée :Ces faits sont absents des manuels scolaires et presque inconnus de l'historiographie française.
La récupération historique :Philippe Torreilles a redécouvert cette histoire au début du XXe siècle.
La représentation iconographique erronée :Le portrait de Josep de la Trinxeria, peint en 1726, le montre vêtu à la mode de 1726, et non de son époque, ce qui est typique des portraits familiaux posthumes et démontre un manque de rigueur.
Appel à la mémoire :Il serait "impardonnable" que ces héros, derniers défenseurs des libertés catalanes en Catalogne Nord, tombent dans l'oubli.
3.4. Portrait et Postérité de Josep de la Trinxeria
Le chef charismatique :Membre d'une famille bourgeoise de Prats-de-Mollo, il consacra sa vie à la réunification. Il jouissait d'un grand prestige et fut l'un des promoteurs du complot de Villefranche.
Fin tragique :Il mourut au combat en 1689 lors d'une incursion depuis sa base d'Olot, où il était réfugié. Il avait reçu une patente de colonel de Miquelets de l'Espagne.
Restitution rigoureuse de son apparence :Basée sur une description de 1673 : habit de drap foncé avec un galon d'argent, chapeau à la française, cheveux longs, moustache retroussée.
L'Intérêt Historique et la Signification Profonde
Quel intérêt peut avoir cette révolte pour les historiens d'aujourd'hui ? Sa signification apporte des données sur l'adscription politique et sociale plus révélatrices que son seul contenu politique.
La vision extérieure (de la France) est cruciale : elle a perçu la révolte comme un danger réel, ce qui a conduit à une répression brutale et à un renforcement du contrôle militaire de la frontière (comme à Mont-Louis).
Conclusion finale : L'extension et la durée du conflit ont solidifié une idéologie. Ce ne fut peut-être pas la représentation d'une nation construite, mais bien "l'expression de l'identité propre face à l'autre qui est rejetée". La Révolte des Angelets créa un précédent capital dans les relations entre Roussillonnais et Français et marqua durablement les mémoires.
Contexte
1659 : Annexion française de la Catalogne NordLe 7 novembre 1659, suite à la guerre des Faucheurs (Segadors), les monarchies hispanique et française signèrent le Traité des Pyrénées, qui signifia le partage de la Catalogne entre les deux souverains. Ce traité a imposé une frontière qui annexe à France le Roussillon, le Conflent, le Capcir et une partie de la Cerdagne. La résistance à l'occupation française de la Catalogne Nord commença dès mars 1661.
1661 : La gabelle, impôt sur le sel en Catalogne NordEn juillet 1660, le Conseil Souverain du Roussillon est instauré, remplaçant la Diputació (Députation), confirmant en Catalogne Nord (le Roussillon, le Conflent, le Vallespir, le Capcir et le nord de la Cerdagne) l'application officielle des Constitutions de la principauté de Catalogne que Louis XIV jura à Perpignan, comme les avait jurées auparavant Louis XIII, et tous ses vice-rois, et confirmées par des édits royaux à Paris. Malgré tout cela, l'année suivante, le monarque français impose le monopole royal du sel, contraire aux Constitutions catalanes, ce qui implique la fermeture des salines locales et l'interdiction de transporter du sel d'autres salines de la Principauté comme celle de Cardona. Les protestations contre cet outrage sont généralisées et la révolte est réprimée avec une grande cruauté. Pour couronner le tout, le royaume impose un nouvel impôt aux Catalans, la gabelle du sel, pour entretenir les troupes d'occupation. Louis XIV s'était engagé à maintenir les institutions catalanes, mais en juin 1660, il supprime toutes les institutions et organismes officiels, les remplaçant par de nouvelles formes administratives et fiscales. La résistance au nouveau maître commença en mars 1661. Étant venu résoudre un conflit entre les habitants d'Aiguatèbia et ceux d'Orellà, le Viguier Marsal fut violemment attaqué. Il réussit à s'enfuir, mais l'avocat et le serviteur qui l'accompagnaient sont assassinés. Dans le sud de la France, une viguerie était un tribunal administratif médiéval. Au mois de novembre 1661, il établit la gabelle, taxe sur le sel abolie par les Corts Catalanes (les Cours Catalanes) depuis l'année 1283, sous le roi Jacques II de Majorque. Cet argent devait servir au paiement des dépenses des places fortes et des soldes des fonctionnaires français, entre autres les paiements aux magistrats du Conseil Souverain. De cette manière, l'impôt devait avoir un surcroît d'impopularité, puisqu'il subventionnait ceux qui, aux yeux de la population autochtone, étaient des « collaborateurs ». La mesure est très impopulaire. Le détournement par le roi de France du montant de cet impôt - au détriment de Perpignan, qui n'en reçoit qu'une partie insignifiante - est considéré comme une abjuration du serment royal de respecter les privilèges de la capitale de la comarque du Roussillon. Les consuls de Perpignan protestent. Mais une décision du Conseil Souverain rejette la plainte municipale et impose la volonté du gouvernement. Cet impôt frappe de front les habitants du Vallespir, pays de pâturages, habitués à acheter du sel catalan qui venait de l'autre côté de la nouvelle frontière. Alors commence une contrebande intense que tentent d'interrompre les gabelous, un corps de gardes fonctionnaires chargés de contrôler le commerce du sel, en fouillant notamment les maisons et les chargements des muletiers. Disons en passant que cela signifiait que des zones comme le Vallespir ignoraient encore la nouvelle frontière. La France ne disposait pas encore vers 1662 d'une garde frontalière vraiment efficace ni d'une infrastructure militaire suffisante pour contrôler tous les mouvements transfrontaliers. En 1663, les habitants de Saint-Laurent-de-Cerdans se révoltent contre les gabelous qui ont emprisonné certains muletiers, et les détruisent. La répression, à la charge du Président du Conseil Souverain, Francesc Sagarra, un catalan renégat, est immédiate : huit habitants sont condamnés à mort et cinquante et un aux galères à perpétuité. Mais la contrebande continue, plus forte que jamais.
1667-1668 : La première révolte des Angelets de la TerraLes Angelets de la Terra agirent surtout entre 1667 et 1675 comme de véritables guérilleros contre les troupes françaises et surtout contre les fonctionnaires de la gabelle du sel, qui entravaient la gestion des contrebandiers du sel. En 1667, les gabelous fouillent les maisons de Prats-de-Mollo, imposant une série d'amendes aux habitants trouvés en possession de sel "espagnol". Parmi eux se trouve Josep de la Trinxeria, membre d'une des plus anciennes familles de la ville. Indigné par le manque de respect des Usatges Catalans (Usages de Catalogne), il décide d'organiser une résistance armée. Peu de temps après, Josep de la Trinxeria réunit une troupe de volontaires bien armés et disciplinés, aidés par les paysans, ils s'autoproclament les Angelets de la Terra. Leur nom viendrait de la facilité avec laquelle ils apparaissaient et disparaissaient, tels des anges. D'autres versions lient l'origine du nom à l'archange Saint Michel, patron des paraires (drapiers) de Prats-de-Mollo. La guérilla des Angelets se répandit dans la comarque du Vallespir, cachés surtout dans les villages de Serralongue et Montferrer en 1667. Damià Nohell, connu pour être le fils du maire de Serralongue, et plus tard Joan Miquel Mestre de Vallestàvia, dit l'Hereu Just (l'Héritier Juste) de Vallestàvia, furent quelques-uns des lieutenants de Trinxeria. En 1668, ils attaquèrent l'hôtel des Bains où logeaient les gabelous. Ils assiégèrent aussi dans l'église de Saint-Laurent-de-Cerdans un sous-viguier nommé Maniel. Symboliquement, l'effet du siège des Angelets à Céret en août 1668 signifia un point culminant dans la lutte. En réponse, Francesc de Segarra offrit en juillet une récompense de cent doublons d'or à qui arrêterait les résistants et en septembre, il y alla avec une expédition punitive de 300 soldats. L'expédition, cependant, fut vaincue au pas del Llop (col du Loup). Sagarra, poursuivi par ses vainqueurs, s'enferma dans Arles.Lettre de Louvois à Macqueron, à Paris le 11-11-1668 (Louvois faisait preuve de fermeté avec ces ordres et mettait sur le même plan les révoltés armés que les populations qui refusaient le paiement de l'impôt ou développaient la contrebande ou donnaient refuge aux rebelles ; qu'il s'agisse de révoltés actifs ou passifs, puisque dans les deux cas on contrevenait au roi) :« Obliger les lieux d’où la gabelle a été chassée à la recevoir de nouveau, et à livrer les coupables entre les mains de la justice; sinon entrer de force dans ces montagnes, piller et brûler quelques villages, qui soit une marque à ces gens là de leur punition, et donne un exemple aux autres sujets du Roy du mesme pays qui les empesche de tomber dans les mesmes inconvenients. »(Forcer les lieux d'où la gabelle a été chassée à la recevoir à nouveau, et à livrer les coupables entre les mains de la justice ; sinon entrer de force dans ces montagnes, piller et brûler quelques villages, qui soit une marque pour ces gens-là de leur punition, et donne un exemple aux autres sujets du Roy du même pays qui les empêche de tomber dans les mêmes inconvénients.)Bons connaisseurs du territoire, les guérilleros nuisirent gravement aux troupes françaises durant ces années, poursuivant et éliminant un bon nombre de collecteurs de l'impôt sur le sel. Louis XIV, engagé dans une nouvelle guerre contre l'Espagne (Guerre de Dévolution : 1667-1668), se résout à pactiser avec les Vallespiriens le 24 avril 1669. Ce pacte, appelé le compromis de Céret, consiste en une amnistie générale, la suppression des gabelous et la vente du sel à un prix plus bas aux municipalités du Vallespir.
1670-1675: La seconde révolte des Angelets de la TerraEn 1669, étant l'un des chefs de la révolte, Joan Miquel Mestre « l'Hereu Just » exigea le même traitement pour le Conflent. Il fut arrêté le 22 janvier 1670 par le gouverneur de Prats-de-Mollo, ce qui généra la révolte des voisins de la localité qui prirent sa femme et ses enfants en otages. Ceux-ci furent échangés contre l'Hereu Just, qui put ainsi s'échapper. Les Angelets réussirent à expulser les Français de Prats-de-Mollo en janvier 1669 et y restèrent jusqu'au mois de mai. À ce moment-là, la révolte non seulement recommença mais fut beaucoup plus cruelle et les luttes eurent lieu dans tout le Vallespir : Le 27 février 1670, les Angelets s'emparèrent d'Arles en tuant le maire. Peu après, 1500 Angelets assiégèrent pour la deuxième fois Céret, la capitale du Vallespir, entre le 31 mars et le 2 avril. À partir de là, les Français envoyèrent une grande armée de 4 000 soldats dans les montagnes qui séparent le Conflent et le Vallespir pour attaquer cette dernière comarque par les arrières, évitant ainsi d'être une cible facile via la route de la vallée. Le 5 mai, ils vainquirent finalement les Angelets au col de la Regina, car la technique de guérilla ne pouvait faire face à une armée complète dans une bataille ouverte. Quelques Angelets se réfugièrent en Catalogne Sud et d'autres se cachèrent dans les montagnes pour poursuivre des actions de guérilla, mais on peut dire qu'à partir de cette défaite, la grande révolte des Angelets de la Terra est vaincue. Les Angelets venaient principalement de la Catalogne Sud et du Haut Vallespir ; en moyenne, un homme par maison, ce qui montrerait l'exceptionnalité de l'affaire, puisqu'il ne s'agissait pas d'une assistance armée obligatoire. La réaction française n'envisageait déjà aucun type de négociation et il fallait donner un certain sens d'exemplarité à la réponse : le 21 juillet 1670, Francesc Martí Viladamor (Conseil Souverain) exigea la démolition de certaines maisons et des murailles de Prats-de-Mollo et de Serralongue, en plus d'établir une liste d'amendes pour les populations de la zone — seize.
C'est la seule image de Josep de la Trinxeria qui est conservée. Huile réalisée sur commande, avec une autre de son fils Blai, en 1726. Tout porte à croire qu'elle a été commandée par lui. (Musée Can Trincheria, Olot)
1674 : Complots de Villefranche, Perpignan et CollioureLes hostilités se prolongèrent encore pendant quelques années, étant importantes durant la guerre entre la France et la Hollande entre 1672-1678. Vers les années 1672 et 1673, devant la plus que probable guerre franco-espagnole, certains notables perpignanais entrèrent en contact avec les chefs de la révolte en leur demandant de tenir le plus longtemps possible. De cette manière, on espérait que l'union de la guerre et de la révolte permettrait une intervention espagnole et la réunification du pays. Le village et l'église d'Aiguatèbia furent brûlés par les troupes françaises le 7 février 1673. La lutte prit un caractère de soulèvement antifrançais et ainsi les Angelets collaborèrent avec la monarchie hispanique. Ils intervinrent dans le complot de Villefranche-de-Conflent pour tenter de réunifier les Comtés à la Catalogne. Les quelques familles notables du pays qui restaient avaient tenté de participer à un complot contre la France. Le samedi saint de 1674, Villefranche avec ses autorités devait se soulever et, depuis la Principauté, des Miquelets et des troupes castillanes devaient entrer par la Cerdagne. Perpignan et Colliure devaient aussi se révolter. La conspiration fut découverte et son leader, Manuel Descatllar i Dessoler, fut arrêté et transféré à Perpignan, reconnaissant tous ses actes sous la torture, et exécuté sur la place de la Loge le 2 avril 1674. La tête de Manuel Descatllar fut pendue aux portes de Villefranche-de-Conflent. En revanche, son compagnon Francesc Puig i Terrats fut condamné à mort et décapité en public devant sa propre maison. Son corps fut démembré et les quatre parties exposées aux quatre points de la ville. À partir de ce moment, les arrestations et exécutions deviennent habituelles. Beaucoup d'autres conspirateurs payent leur engagement par la perte de leurs droits civils et patrimoniaux. Josep de Trinxeria et Carles de Banyuls qui devaient soulever à nouveau le Vallespir s'exilèrent en Catalogne Sud. La répression fut très dure : À titre d'exemple, soulignons que la population de Py qui avait soutenu les Angelets fut condamnée à être totalement rasée et à semer du sel sur ses ruines. Les chefs de la révolte qui furent arrêtés, comme Manuel Descatllar (26 ans), Francesc Soler (consul de Villefranche), Carles de Llar, Francesc Puig i Terrats, reconnurent tous leurs actes et, coupables de crime de lèse-majesté, furent jugés, torturés et exécutés. Une fois morts, étranglés, les têtes des Angelets furent exposées dans des cages de fer aux portes d'entrée de Villefranche-de-Conflent et de Perpignan pendant 30 ans. Les biens de tous et chacun des accusés furent spoliés par l'état. La terreur continua pendant tout le siècle. Ces faits appartiennent à notre histoire et nous ne pouvons ni ne voulons les oublier ; et malheureusement, ils ne figurent pas dans les manuels scolaires. Comme il avait eu connaissance des mouvements de troupes espagnoles, l'officier français expliquait à Louvois que le vice-roi de Catalogne avait mobilisé entre dix et douze mille soldats, avec l'espoir de profiter du soulèvement interne de Villefranche-de-Conflent. Il faut souligner la participation dans ces manœuvres contre les autorités françaises d'une certaine élite roussillonnaise : « […] il a paru dans cette occasion peu d’affection pour le service du Roy dans les peuples de païs cy: il avoit a craindre mesme que la conspiration n’allat assez loing pour couper la gorge à toutes les troupes dans les quartiers quoy qu’elles ayent tousjours vécu avec le meilleur ordre du monde, Je vous asseure que cette affaire a esté fort grande et que sy jeusse manqué a la destourner comme jay fait de loing, les suittes pouvoient estre tres fascheuses. »([…] il a paru dans cette occasion peu d'affection pour le service du Roy dans les peuples de ce pays-ci : il y avait même à craindre que la conspiration n'allât assez loin pour couper la gorge à toutes les troupes dans les quartiers quoiqu'elles aient toujours vécu avec le meilleur ordre du monde, Je vous assure que cette affaire a été fort grande et que si j'eusse manqué à la détourner comme j'ai fait de loin, les suites pouvaient être très fâcheuses.)La répression fut grande et les interrogatoires, longs et détaillés. Comme toujours, l'idée de marquer l'exemplarité fut l'un des objectifs. Pour Le Bret, la difficulté la plus grande une fois la conspiration découverte était d'obtenir des témoins réels, et pas seulement ceux provoqués par la torture. Il considérait que les peuples impliqués, les gens du pays, maintenaient un fort lien et que, comme dans le cas des Angelets, il ne serait pas facile de les dénoncer. Ainsi disait-il dans une lettre envoyée à Louvois le 7 avril : «On auroist besoing en ce païs cy d’un bon furet pour découvrir tous les complices, Il n’est pas croyable la consternation qu’il y a parmy tout ce peuple-cy: depuis que cette affaire a marqué assurément».(On aurait besoin en ce pays-ci d'un bon furet pour découvrir tous les complices, Il n'est pas croyable la consternation qu'il y a parmi tout ce peuple-ci : depuis que cette affaire a marqué assurément.)Ainsi, une fois encore, ce serait le tour de certains membres du Conseil Souverain de mener les enquêtes, ce qui renforcerait une fois de plus la distance entre l'institution et le peuple. De fait, ils trouvèrent une taupe en la personne d'un jeune étudiant de vingt ans qui confessa ce qu'il savait en échange d'une amnistie personnelle. Carlier reconnaissait que «sa déposition m’est d’un grand secours». D'une certaine manière, l'aspect principal dont les Français se rendaient compte qu'ils devaient contrôler, parce que sinon les choses pouvaient leur échapper des mains, étaient les rumeurs et l'opinion publique. Les autorités connaissaient les relations de certains conspirateurs avec certaines personnes de la Principauté, ce qui était préjudiciable par l'intoxication que cela pouvait provoquer parmi les peuples du Roussillon. L'intendant se montrait préoccupé devant l'idée que les Espagnols profitent de la guerre et des faits du Roussillon pour «exciter une révolte dans tout le pays». De son côté, Le Bret se montra encore plus belliqueux sur ce sujet et alerta que ceux d'Espagne avaient «Intelligence avec les peuples du Roussillon». De fait, il exprimait clairement sa méfiance envers les gens du pays et, aussi, le préoccupait le fait que l'on fasse croire aux gens qui vivaient près de la frontière que les Français étaient sur la défensive et que viendraient d'importantes troupes d'Espagne. Finalement, il définissait la situation que l'on vivait comme : «L’opinion du bruit». C'est-à-dire, il était conscient de l'importance de contrôler les canaux d'information — quel qu'ils soient —, puisque la population semblait être prédisposée à se joindre à une nouvelle conspiration si les Espagnols réussissaient à pénétrer dans ce territoire. À part les mesures belliqueuses (augmentation de troupes et constructions militaires), la principale réaction des autorités françaises fut la purge de ceux qui s'étaient montrés contraires à la France à un moment ou à un autre. C'est-à-dire, les exécutions et les exils — forcés et volontaires — furent nombreux. Certains historiens, comme Josep Sanabre, considèrent que la répression fut brutale et généralisée. Ainsi dit-il : «no es reduí a castigar unes quantes famílies d’aquella població [Vilafranca], ans tingué repercussions en d’altres llocs del Rosselló, fins a la mateixa capital».(Elle ne se réduisit pas à punir quelques familles de cette population [Villefranche], elle eut au contraire des répercussions en d'autres lieux du Roussillon, jusqu'à la capitale elle-même.)
La répression aurait continué pendant la guerre, au moins jusqu'en 1676, date à laquelle Beaulieu commente la possibilité de mettre en pratique un projet d'amnistie générale pour les conspirations du Roussillon de 1674. Le chiffre qu'il nous offre d'exilés dépasse facilement les deux cents personnes. À cela, il faudrait ajouter la centaine de personnes réprimées et condamnées à mort. Tenant compte que souvent ces personnes partaient avec toute la famille, le nombre fut vraiment énorme. En revanche, Alain Ayats laisse entendre que si les exils furent nombreux, ils ne furent pas massifs. De fait, il se réfère au fait que les adhésions aux révoltes ne se généralisèrent pas et furent limitées. En même temps, il met en doute qu'il s'agisse d'un sentiment national, puisque la solidarité ne fut pas générale partout. Or, grâce à cette interprétation, nous pouvons entrer de plain-pied dans l'idée de la « nation fragmentée », c'est-à-dire la consolidation du sentiment identitaire par zones affectées : le passage de la communauté ethnique à la nation — sens contemporain — ne pouvait se faire de la même manière dans toutes les zones du pays ; apparaît ici la figure de la contre-identité face à l'agression à long terme. Évidemment, ces conflits ne peuvent s'observer de manière microterritoriale, mais on ne peut pas non plus prétendre que de l'autre côté de la Catalogne il y avait un fort sentiment de solidarité généralisé (surtout depuis Barcelone), tenant compte que depuis vingt ans on n'y subissait plus aucune guerre ni aucune agression française. Aussi, en évaluant la rapidité des arrestations et le caractère de la répression (avril-juin 1674), comment les populations pouvaient-elles s'adhérer sans aucune sécurité à un quelconque soulèvement contre la France ? Et c'est que, de fait, les complots n'étaient plus un mouvement antifiscal, mais une décision politique d'identité nationale — avec toutes les nuances de l'époque que cela impliquait — ; principalement, une adscription préférentielle à la monarchie hispanique. Ainsi donc, les paysans pouvaient avoir moins de motifs de se révolter : par peur des répressions et, possiblement, par manque de motifs explicites, comme l'étaient les fiscaux. Pour cette raison, donc, les officiers français craignaient les mouvements espagnols et l'effet que leur propagande pouvait faire parmi la population : comment auraient réagi les habitants si réellement les troupes hispaniques étaient entrées en Roussillon, de manière continue et crédible ? C'était le grand doute des autorités galloises (françaises) et des profrançais eux-mêmes, étant donné que certaines de ces redoutées réactions semblent effectivement s'être produites, comme durant le mois d'août 1674. Le maréchal Schomberg confirmait l'adhésion des populations voisines à la troupe espagnole, expliquant que les Espagnols se maintenaient forts au château de Montesquiu avec seulement cinquante hommes, grâce au soutien logistique offert par les habitants : «Il est vray qu’il [l’enemic] a de grands avantages sur nous ayants tous les Peuples pour luy, et nous ne pouvons pas fer aucun mouvement sans qu’il en soit averty […] Cette Infidélité s’estend mesmes jusques sur le Régiment du Comte d’Ille, dont les meilleurs hommes qui sont de ce pays cy se sont allés rendre despuis peu».(Il est vrai qu'il [l'ennemi] a de grands avantages sur nous ayant tous les Peuples pour lui, et nous ne pouvons faire aucun mouvement sans qu'il en soit averti […] Cette Infidélité s'étend même sur le Régiment du Comte d'Ille, dont les meilleurs hommes qui sont de ce pays-ci se sont allés rendre depuis peu.)Possiblement, les années qui suivirent les conspirations de 1674 furent un point d'inflexion dans la relation franco-catalane en Roussillon et dans l'intérêt de l'établissement de la France dans ce territoire. Les Français découvrirent que le manque d'affection de la population pouvait se retourner contre eux et il fallait trouver une solution, en pleine époque de guerre. La confirmation de leur intérêt pour les comtés, les oppositions naissantes, la guerre avec l'Espagne et l'opportunité de la frontière pyrénéenne dans les tables militaires amenèrent à réaliser une purge sociale qui, symboliquement, n'avait pas eu lieu depuis les années quarante. Curieusement, ce sont les mêmes Catalans profrançais qui s'chargent de mener à bien cette politique, bien que les ordres viennent de la cour française. Les Catalans qui gouvernaient en Roussillon se trouvèrent dans une situation unidirectionnelle, puisque, sans possibilité de retour, la méthode d'ascension sociale et de maintien patrimonial était la soumission totale à la France, passant par-dessus leurs propres compatriotes. Les fortifications étaient, donc, un élément de plus lié aux révoltes et aux conflits du Roussillon : si on ne pouvait couper les échanges d'information familiaux et humains, la barrière militaire devait le faire. Nous ignorons si réellement elle y parvint, mais, en tout cas, elle exerça une véritable méthode de dissuasion. À quoi était due la relation que les Français observaient entre les populations du pays et la monarchie hispanique ? L'affinité élective de certaines zones des comtés pour l'Espagne pourrait être comparée à celle que la Catalogne eut pour la France en 1640 (ce qui amena aussi la monarchie espagnole à exercer une répression et un contrôle intérieur depuis les années cinquante, par peur des non-inscrits et pour démontrer le poids du pouvoir central). Cela n'indique, cependant, ni le degré d'affection des Catalans du Roussillon pour les Espagnols, ni qu'il n'existait pas un renforcement de l'identité propre dans ces endroits où les conflits étaient plus forts et temporellement plus étendus et, par conséquent, on ne peut affirmer une théorie empirique sur le cas. Dans les années postérieures, tous ces conflits eurent des effets concrets : un rejet croissant du traitement des autorités envers les peuples immergés dans les soulèvements et, en contrepartie, l'enracinement d'une méfiance française face à de nouvelles possibles révoltes, mais non plus parce qu'elles étaient antifiscales, mais pour ce qu'elles représenteraient de sécessionnistes — antifrançaises et en faveur d'un retour en faveur de l'Espagne (cela toujours aux yeux de la France) —. Évidemment, jusqu'à quel point ceux qui avaient participé à une révolte ou une autre espéraient-ils réellement l'aide espagnole ? Nous croyons qu'avec le temps et les contacts des chefs de la Révolte des Angelets — Trinxeria —, par exemple, la stratégie finale menait vers une intervention de l'armée hispanique. Il était mis en évidence, comme l'historiographie — concordante pour une fois — a amplement démontré, une solidarité de voisinage et communautaire semblable à une conscience identitaire collective face au Français, puisque l'agression (fiscale et militaire) dépassa le fait ponctuel et l'anecdotisme et perdura pendant plus de cinquante ans. Cette réaction, cependant, montrait-elle le choix d'être dans la monarchie espagnole plutôt que dans la française ? C'était un choix d'identité politique à travers une affirmation d'identité collective : la préférence devant l'impossibilité de l'auto-affirmation. De la même manière, la peur qu'avaient les Français se convertit en méfiance et en un augment du contrôle : les zones par où pénétraient plus facilement les troupes espagnoles, la Cerdagne et le Conflent, devinrent un territoire presque fortifié et de conquête impossible pour les Espagnols — d'où la fonction de Mont-Louis. La révolte fut plus qu'une question de mécontentement antifiscal pour la France. S'il est vrai que d'autres soulèvements de racine semblable avaient amené le chaos dans d'autres zones du royaume (Bretagne, Languedoc), aucun ne s'était caractérisé par devenir un pont pour l'invasion de l'ennemi, puisque les révoltés embrouillaient les forces françaises. Cela ne voulait pas dire, cependant, que les habitants des comtés préféraient les Espagnols aux Français. Les troupes du roi d'Espagne franchirent la frontière et prirent le Fort Bellaguarda (début 1674). Elles contrôlèrent une grande partie de la Catalogne Nord (Cerdagne et Vallespir, partie du Roussillon et du Conflent). Ce ne fut qu'en 1675 que le comte de Schomberg reprit Bellaguarda et les expulsa définitivement. La Catalogne Nord fut envahie par les troupes royales et la répression toucha toute la population : emprisonnements, condamnations aux galères, exécutions, confiscation de biens, amendes radicales aux municipalités (celle de Prats-de-Mollo fut de 3 500 livres, celle de Sant Llorenç de 1 600...). La révolte est considérée comme terminée en 1675. Les haines et le coût de la répression atteignirent un tel point que le monarque français tenta d'échanger les Comtés nord-catalans contre la Flandre, mais le roi espagnol s'y refusa. La révolte complètement achevée, le roi de France renonça à cet échange durant les négociations du traité de Nimègue, qui mit fin, en 1678, à la guerre de Hollande.
Conclusions
Quel intérêt peut avoir cette révolte pour les historiens d'aujourd'hui ? En premier lieu, sa signification peut apporter des données et des interprétations d'adscription politique et sociale bien plus révélatrices que son contenu exclusivement politique. C'est-à-dire, ce que les révoltés pouvaient penser, ou ce pour quoi ils croyaient se révolter contre les autorités — en dehors du fait que le motif ait pu évoluer avec les années —, pouvait avoir un poids moins important que l'interprétation qu'en faisaient les puissances européennes, parmi elles les directement impliquées furent la France et l'Espagne. S'il y a eu un débat sur le caractère national ou antifiscal — ou les deux choses — de la Révolte des Angelets, on a rarement cherché à faire abstraction et à essayer de découvrir comment fut perçue la rébellion depuis le nouveau centre politique français. C'est-à-dire, il serait convenable de tracer les ponts entre le signifié et le signifiant de la révolte et de ce qui l'entourait. De notre côté, nous entendons que le début du mouvement fut dû bel et bien à une réaction de la population contre des décisions politico-fiscales, même si à long terme l'interprétation de la révolte elle-même pouvait évoluer. Les exemples qui en découlent sont, par leurs caractéristiques, didactiques pour arriver à comprendre la cohésion autochtone face à un ennemi commun et persistant, mais en aucun cas empiriques et représentatifs d'une identité globale quelconque. Les terres du Roussillon sont certes un cas adéquat pour prêter attention à ces observations. Pouvons-nous penser, donc, que cet impôt de la gabelle et ses effets furent suffisants pour déboucher sur une révolte ? Avec les questionnements de conscientisation identitaire que la guerre avait provoqués, le rejet global du Français dans les Pyrénées catalanes se consolida et, si la révolte avait effectivement un caractère antifiscal, l'intermédiation d'acteurs qui provenaient de mondes divers — muletiers, miquelets, paysans, nobles, chapelains — accordait un esprit général au mouvement. Cependant, comme il arrive souvent, les uns commandaient et les autres suivaient. De la même manière, cependant, nous pouvons comprendre que la bienveillance et la complicité des populations avec les révoltés représentaient une sorte de soutien passif à la rébellion, puisqu'il s'agissait de gens du peuple ou d'un comportement contre l'État. Quel serait, donc, cet État centralisateur ? La population avait-elle assez conscience pour définir et distinguer entre le type d'état, l'ennemi et le compatriote ? En effet, c'étaient des personnes du pays qui luttaient contre un ennemi commun. En tout cas, comme nous disions au début, il sert à peu d'adopter une interprétation historique ou une autre, puisque la vision extérieure — de ceux qui détenaient le pouvoir : la France — pouvait avoir un poids plus grand et apporter des données nouvelles sur ce que cette révolte a réellement signifié pour eux. Cependant, pour comprendre la relation de ces interprétations avec les faits qui se sont produits, il est nécessaire d'observer les moments clés de ce conflit. Ainsi, avec les premiers incidents qui eurent lieu à Saint-Laurent-de-Cerdans, au mois d'avril 1663, commença la persécution du commerce converti en contrebande et, donc, l'arrestation de muletiers du sud et du nord des Pyrénées. Le visiteur général de la gabelle initia les arrestations qui provoquèrent une réaction en chaîne d'arrestations et de vengeances, certifiées avec l'assassinat de tous les gardes de la gabelle qui se déplaçaient sans protection. De leur côté, le Conseil Souverain réagit en envoyant à Arles son président, Francesc de Sagarra, et le conseiller Francesc Martí Viladamor. Les formes et manières violentes de Sagarra étaient déjà assez connues et « réputées » alors. Il est intéressant de remarquer qu'à partir de ce moment, les travailleurs des forges se joignirent aux révoltés et que les universités locales n'entreprirent aucune action légale contre les rebelles. La terreur développée par la répression sagarrienne motiva les accords et les solidarités entre beaucoup de peuples, selon l'étude d'Evelyne Erre-Masnou et Maryse Espin. Ainsi, par exemple, durant le soulèvement de Saint-Laurent-de-Cerdans en mai 1663, les habitants de localités voisines comme Serralongue, Coustouges, Maureillas-las-Illas et Taillet y arrivèrent quelques heures plus tard en entendant les cris de secours. Selon Erre Masnou et Espin, les acteurs principaux de la révolte jusqu'en 1665 furent des paysans qui, de manière plus ou moins spontanée, prirent les armes contre l'oppression économique et sociale, sans aucune sorte d'organisation, si ce n'est la connaissance du territoire comme avantage face aux soldats. Le sentiment de solidarité aurait permis aux habitants de se protéger, c'est-à-dire qu'il s'agissait d'une réaction d'autodéfense : « via fora lladres i gavatxs » (« dehors les voleurs et les gabelous ! ») ou « a carn, a carn » (« à la chair, à la chair ») étaient certaines des expressions les plus récurrentes16. Logiquement, les cris et les dénonciations de la population avaient pour objectif les Français et, plus précisément, les soldats et les collecteurs de l'impôt. De fait, la majorité des acteurs des soulèvements locaux faisaient partie du corps villageois, malgré la présence de quelques nobles roussillonnais. Les intégrants par secteurs de la révolte furent : des muletiers (les premiers affectés et aussi les premiers suspects de la révolte pour les autorités) ; des clavataires (travailleurs des forges et des martinets), qui prirent le leadership de la révolte (il s'agissait d'un groupe cohérent et solidaire, qui travaillait côte à côte, et avait donc une certaine conscience collective, en plus, même s'ils avaient moins de contact avec les soldats, les clavataires pouvaient cristalliser leurs idées dans les forges et ainsi passer à l'action) ; des paysans (ils ne formaient pas un groupe homogène, mais intervenaient beaucoup individuellement) ; des femmes (un groupe souvent oublié par sa transparence, mais qui intervint passivement dans la révolte) ; et, pour finir, des enfants et adolescents (ils eurent un rôle important, car les soldats se méfiaient peu d'eux). Finalement, surprend le nombre relativement petit de participants à la révolte et comment ils furent capables de pouvoir mettre en doute l'autorité de la France dans le Vallespir. Il est clair que, sans le soutien populaire — actif et passif —, cela n'aurait pas été possible. Et c'est que la lutte était générale et une affaire de tous. La relation du conflit avec la guerre devient clé, comme le sont aussi les effets contre-identitaires sur la population. La France voyait un danger réel dans la révolte, comme le démontrent les réactions que nous avons vues avoir eu lieu, même si dans un premier moment ils laissèrent que ce soient leurs compatriotes du Conseil Souverain qui s'en chargent. Le débat historiographique se centre sur la nature réelle de la révolte : antifiscale ou nationale. Ce fut Philippe Torreilles qui récupéra la mémoire historique de la Révolte des Angelets au début du XXe siècle. Depuis lors, cette histoire cessa d'être un thème strictement populaire pour être débattu dans le domaine des études historiques. Il a beaucoup plu depuis lors et les interprétations ont abandonné leur caractère légendaire. Malgré tout, celle-ci continue d'être une révolte presque inconnue ou omise par l'historiographie française. Une chose est sûre : l'extension et la durée du conflit solidifièrent une idéologie trop éparse et qui ne peut avoir une lecture isolée et locale, mais doit être incluse dans le long conflit franco-espagnol et dans la continuation d'un sentiment antifrançais qui existait dans les comtés depuis bien avant que dans d'autres zones géographiques de Catalogne. Cela ne veut pas dire, donc, que ce fut la représentation d'une construction mentale et nationale, mais bien l'expression de l'identité propre face à l'autre qui est rejetée. Le cas du Roussillon pouvait faire craindre, effectivement, que la révolte ne se convertît en une révolution — une séparation — contre la France. De cette manière, nous entendons que l'envoi de grands contingents militaires dans les zones les plus conflictuelles peut s'expliquer comme une volonté pour en finir avec une révolte qui avait été interprétée comme quelque chose de plus qu'une révolte antifiscale. De fait, la durée et la consistance de la rébellion provoquèrent une méfiance à long terme des autorités françaises envers les populations de la frontière pyrénéenne. Le mouvement armé des Angelets créa un précédent capital dans les relations entre les Roussillonnais et les Français, au moment où la province fut annexée par la France, et marqua la mémoire tant des uns que des autres. De son côté, Alain Ayats considère que « la Révolte des Angelets ne posa pas de problèmes militaires sérieux ». Alors, nous pouvons nous poser deux questions : si réellement la France n'y vit aucun danger, comment se fait-il qu'on décida de développer avec urgence une frontière militaire aux Pyrénées durant les années soixante-dix ? Et, comment se fait-il que nous trouvions des documents, encore après la Guerre de Hollande, où les autorités françaises manifestent encore une grande méfiance envers les habitants des montagnes du Vallespir et expriment la nécessité d'un renforcement du contrôle pour ne pas retrouver une nouvelle révolte d'Angelets qui pourrait provoquer une sécession ? À la première question, Ayats lui-même y répond en disant que c'est à la suite de la révolte que les Français décidèrent de contrôler la frontière plus efficacement. Par conséquent, la révolte — nationale ou non — fit prendre conscience aux autorités françaises du danger qu'elle représentait par elle-même et par le lien qui pouvait s'établir avec les terres du sud36. Manifestement, l'identité antifrançaise de la révolte menait à un renforcement de l'identité locale ; un « fait local » qui pouvait devenir ample à mesure que le conflit avec le Français s'allongeait dans le temps et dans l'espace catalan. (texte de l'Òscar Jané Checa, 2004)
Au cri de « Via fora, lladres i gabatxs! » (« Dehors, les voleurs et les gabelous ! ») et « Visca la Terra » (« Vive la Terre »), des groupes armés s'organisent partout sur le territoire, les Catalans sont un peuple habitué à l'usage des armes et expérimenté dans la guerre de guérilla. Les Angelets de la Terra sont un corps armé, organisé techniquement et tactiquement suivant les systèmes habituels d'autodéfense du pays, comme les sometents (levées en masse), miquelets, etc. Ils connaissent très bien le terrain, beaucoup d'entre eux sont des muletiers du sel, ils jouissent d'un soutien populaire et savent tirer parti de l'armement léger avec platine à silex et de la liberté de mouvements que leur donne le fait de ne pas combattre comme une armée réglée. Dans cette image, nous montrons différents types de combattants, depuis les chefs militaires de différents niveaux jusqu'aux combattants de base et les armes qui leur étaient propres. Un fait singulier est qu'en tant que signe distinctif, ils portaient un vêtement de couleur bleue dite "blauet", que ce soit une plume, les chausses, des chaussettes, la ceinture, la barretina (bonnet) ou la cape. Ils libèrent des populations entières (Prats-de-Mollo, Arles, Céret, etc.) et provoquent beaucoup de pertes parmi les troupes françaises et les gabelous (collecteurs de l'impôt) et en 1669, le compromis de Céret, par lequel les fonctionnaires du sel ne feraient plus d'inspections et s'entendraient avec les Conseils de chaque village pour la vente du sel. Mais les autorités ne respectent pas le même traitement avec le reste des territoires et la révolte devient encore plus cruelle. Les Angelets interviennent dans la conspiration de Villefranche-de-Conflent (1674) pour atteindre la réunification de la Principauté. Malheureusement, la conspiration est découverte. La répression s'étend à toute la population jusqu'à un paroxysme insupportable aussi pour la monarchie française qui arrive à offrir au roi des Espagnes une révision du Traité des Pyrénées, Louis XIV propose insistant (entre 1668 à 1677) d'échanger les comtés catalans contre la Flandre. Josep de la Trinxeria est le commandant des Angelets. Membre d'une famille de bourgeois, paraires (drapiers), et notaires de Prats-de-Mollo et, avant 1640, avec divers droits royaux et propriétés en Garrotxa et dans le Vallespir, il consacra sa vie à lutter héroïquement pour la réunification de la Principauté. Il jouit d'un grand prestige parmi la population et est l'un des promoteurs de la conspiration de Villefranche-de-Conflent. Il meurt au combat en 1689 durant l'une de leurs habituelles incursions dans les territoires de la Catalogne Nord pour harceler les occupants français qu'il organisait depuis sa base opérationnelle à Olot, où il était réfugié depuis 1674. En faisant une analyse stylistique des deux peintures, on voit clairement qu'elles furent l'œuvre du même peintre. La date de réalisation, en nous basant sur la structure formelle du vêtement des deux personnages qui, soit dit en passant, sont identiques, nous permet d'assurer qu'elle est propre au moment de la commande, ils suivaient la mode de 1726, trente-sept ans après la mort de Josep, entre-temps il a un peu plu, ont passé la guerre de la Ligue d'Augsbourg (Guerre des Neuf Ans), la Guerre de Succession d'Espagne, la défaite de 1714, l'avènement des Bourbons et les décrets de Nueva Planta. Pour arriver à cette conclusion, il suffit de se centrer sur la pièce principale du vêtement qu'est la casaque, à revers avec la boutonnière distribuée deux par deux, avec le revers de la manche jusqu'à la hauteur du coude et la disposition de la boutonnière de la poche. Conclusion, le vêtement que porte Josep de la Trinxeria qui a vécu entre 1630 et 1689 nous dit clairement qu'il n'a rien à voir avec ce qu'il aurait pu porter à un moment de sa vie et moins encore durant la révolte des Angelets. Malheureusement, ce fait n'a rien d'étrange comme on peut le constater dans d'autres collections de portraits familiaux, tous ceux qui représentent des personnages antérieurs au moment de la commande ne sont jamais archaïsés et on ne fait pas la moindre recherche documentaire sur comment ils auraient pu être vêtus. Au plus, on peut y incorporer un détail qui était caractéristique de la personne, dans ce cas, nous oserions dire que ce pourrait être la moustache, retroussée vers le haut, que bien sûrement ses descendants se rappelaient de leur grand-père Josep. Le reste leur était indifférent. Josep de la Trinxeria comme il se doit – Restitution rigoureusePour la correcte recréation du personnage, nous nous sommes basés sur la description de son vêtement faite en 1673 et retrouvée par Alain Ayats dans son livre Les guerres de Josep de la Trinxeria, il dit : « portait un habit de drap foncé avec un galon d’argent et un chapeau à la française avec des houppes » complétée par les images de diverses sources iconographiques contemporaines qui aident à voir la structure formelle du vêtement et la manière de le porter. Cela correspond au niveau social aisé selon la biographie du personnage. Il porte les cheveux longs suivant la coutume du moment, la moustache retroussée vers le haut respectant le tableau familial. Casaque jusqu'à mi-mollet (l'habit) avec les manches ouvertes laissant voir la chemise, galonnée sur les bords et coutures. Boutonnière sur le devant. À la ceinture, une courroie avec la double finalité d'être ornementale et fonctionnelle pour y porter l'armement. Une cape sur l'épaule gauche qui, suivant le style de l'époque, lui enveloppe la main droite avec laquelle il tient le chapeau à la française. Chausses du même drap, serrées, fermées avec des rubans et des brodequins hauts avec des garde-pieds. Les bottes portent le garde-pied qui fixe l'éperon quand il est à cheval. Armé d'une épée à garde de coquille pendue à un baudrier de cuir, un pistolet de 3 pans (env. 60 cm) et un autre court avec sa correspondante sacoche pour les pierres et les balles ainsi qu'un flacon avec doseur pour porter la poudre. Durant la guerre entre la France et la Hollande, la monarchie hispanique fut alliée du Saint Empire, raison pour laquelle elle facilita l'asile de Josep de la Trinxeria qui reçut une patente de colonel de Miquelets. Pour ne pas rendre ce texte plus long, nous avons omis les détails héroïques des faits d'armes de ceux qui furent considérés comme les derniers défenseurs des libertés catalanes en Catalogne Nord et sacrifièrent leur vie pour défaire le démembrement de la Principauté. Ce serait quelque chose de tout à fait impardonnable qu'ils restent dans l'oubli, ne trouvez-vous pas ?